• Marlene de Bordage venait d’entrer dans le bureau de Maître Haushofer, notaire à Paris depuis trente ans. La jeune femme d’une trentaine d’année était vêtue d’une jupe haute couture noire qui descendait jusqu’à terre, cachant ses pieds et chevilles, et d’un corset enserrant sa poitrine recouvert d’un haut avec un col montant jusqu’à son cou, brodé de perles sombres comme la nuit. Ses yeux étaient cachés par un fin voile noir qui ne dissimulait guère sa tristesse. Le vieux notaire se leva pour la saluer :

    « Toutes mes condoléances mademoiselle.

    -Merci. Si vous saviez combien c’est difficile ce départ si brusque.

    -Quelle tragédie ! Une allergie alimentaire si j’ai bien compris.

    -En effet. Malheureusement, le serveur a ajouté du citron sur son poisson par mégarde. Un accident qui lui aura été fatal.

    -Quelle tristesse ! Asseyez-vous, je vous en prie, nous allons ouvrir le testament de votre défunte mère. »

    Marlene s’assit face au vieil homme. Fille unique de feu Victor de Bordage et de son épouse décédée et enterrée quelques jours auparavant, elle était certaine de toucher la totalité de la fortune familiale. Elle écoutait  avec une attention toute particulière le vieux notaire lui confirmer qu’elle était devenue l’unique héritière de l’immense fortune des Bordage. Elle était maintenant la propriétaire de la maison de campagne familiale. Elle se souvient avec nostalgie et tristesse des étés qu’elle avait passé avec sa mère. Lorsque celle-ci se sentait mal ou voulait changer d’air, elle emmenait systématiquement sa fille. Tout n’avait été que jeux ! Même plus vieille, elle n’y avait créé que de beaux souvenirs. L’idée de vendre cette maison qui abritait tant de bons moments l’attrista. Mais il le fallait. Le fauteuil était confortable et se vendrait à un bon prix. Les tableaux de l’entrée, sans valeur quand son père les avaient achetés, valaient maintenant plusieurs centaines de francs aujourd’hui. Et les bijoux de sa mère ! Une belle somme à l’évidence. Elle sourit à l’idée de l’argent que ces ventes allaient lui apporter. Une pointe de remord s’empara d’elle mais fut bien vite dissipée. Le rendez-vous prit fin. Elle avait maintenant 254 millions de francs et deux propriétés pour elle seule.

    En sortant du notaire, elle appela un cocher. Elle lui indiqua une adresse dans un quartier des bas-fonds de Paris. Sous ses yeux, défilait de hautes maisons aux balcons ornés d’or et statues. Des femmes, protégées par une ombrelle de soie, marchaient sur les trottoirs propres et nettoyés par le service sanitaire. Une vision banale pour cette parisienne de haute naissance. Les chevaux continuaient à tirer la voiture sur les routes pavées.

    Soudainement, les roues quittèrent les pavés et la voiture ralentie. La terre et la boue avaient remplacées les pavés. Plus de trottoirs, les enfants vêtus de loques courraient le long de la voiture sous le regard méprisant des mères, les mollets tachés de terre sèche et les bras emplis de draps. Le cocher continua sa route jusqu’à l’adresse demandée.

    En sortant de la voiture, elle releva ses jupes pour ne pas les faire tremper dans la gadoue. Elle s’engouffra dans une ruelle sombre. Un jeune homme d’une vingtaine d’années était adossé contre un mur. Sans un mot, il tendit la main. Marlene sortie une bourse dans laquelle cliquetaient des pièces d’or. Il hocha la tête. Marlene prit la parole :

    « Vous étiez très bien dans le rôle du serveur. Ils n’y ont vu que du feu ! Heureusement que cette vielle folle avait une allergie, ça aurait été difficile de l’éliminer sans cela. En tout cas, ils croient tous que ce n’était qu’un banal accident. »

    L’homme n’ajouta rien et s’éclipsa. Marlene rentra chez elle. Dans son esprit, elle revit la scène qui avait précédé la mort de sa mère. Sa jubilation lorsque le serveur- son complice- avait apporté ce poisson brillant de jus de citron. Sa mère n’avait rien vu. Sa fille ne tenait presque plus lorsqu’elle avait porté à sa bouche la première bouchée. Tout ce qui avait suivis n’avait été que réussite et plaisir ! Voir sous ses yeux, cette vieille truie s’étouffer et virer au rouge écarlate ! Quel bonheur ! Oh ! Elle avait parfaitement masqué cette joie avec un masque d’horreur et de tristesse. Tous n’y avait vu que du feu ! Enfin cette vieille plaie était morte et enterrée. Plus personne désormais n’entravait ses mouvements. Il fallait maintenant qu’elle organise la vente de sa nouvelle maison de campagne.

     

    Voilà une nouvelle que j'ai écrite avec l'aide de trois amies en copiant le modèle du recueil de Zola"Comment on meurt" 

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    Tout, autour d’elle, était blanc. Elle ne distinguait, ni ne ressentait rien au milieu de cette couleur si pure. Elle flottait dans ce blanc immaculé. Tout doucement, cette blancheur rougit légèrement. Pour virer au rose pâle. Pendant toute la durée de son séjour flottant, les couleurs pastelles se suivirent et s’enchainèrent en silence.

     

    Pas un bruit ne sortait de cet endroit. Pas un souffle, pas un murmure, pas un craquement. Il ne lui était pas aussi insoutenable que d’habitude. Cette adepte du rap bruyant supportait très mal les longs silences. Pas cette fois-ci. Elle se sentait bien. Trop bien même. Une chaleur inexplicable brûlait en elle. Son esprit ressemblait à l’atmosphère qui l’enveloppait : léger et doux. Son corps pesait autant qu’une plume. Elle ne se sentait que trop bien dans ce lieu. Mais cela semblait irréel. Elle songea qu’elle dormait et que tout n’était qu’un rêve. Mais malgré toute sa volonté, elle restait allongée, flottant dans ce monde. Alors une pensée irréaliste s’imposa à elle : elle venait de mourir et ceci était la mort.

     

    Elle voulu chasser cette idée mais celle-ci restait solidement accrochée. Inconsciemment, elle sut qu’elle avait raison. Elle aurait voulu pleurer mais elle ne put. Cette idée, cette réalité, ne lui faisait pas aussi peur que lorsqu’elle était vivante. Elle inspira doucement et elle fit une constatation. Si cela était la mort et qu’elle était condamnée à rester à flotter ici, qu’est-ce qu’elle allait s’ennuyer ! Passer tout son temps seule au milieu de la couleur, elle se demanda comme elle pourrait tenir. Alors, elle se releva et, se servant de l’air comme siège, elle s’assit. Elle regarda autour d’elle. Devant, se dressait deux fenêtres.

     

    La première, à gauche, était en réalité un tube. Un énorme tunnel où il semblait régner une vitesse prête à vous envoyer au bout. De là, elle n’entendait rien. A côté, à droite, un carré s’ouvrait sur le monde qu’elle connaissait. Elle vit trois hommes, activés autour d’une femme. Ils avaient du matériel médical dans les mains. Un masque transparent recouvrait le visage de la jeune femme. Elle se reconnu, là, allongée sur le bitume. Derrière, elle vit sa voiture, encastrée dans un arbre. Alors, elle était belle et bien morte. Mais que signifiait alors ce tunnel lumineux ?

     

    Soudainement, elle comprit ce qui se passait. Ce ne fut pas une voix dans sa tête, ni une quelconque apparition. Elle eut plutôt l’impression de l’avoir toujours su. Un choix décisif s’imposait à elle. La vie ou la mort. Elle reprenait sa vie où elle l’avait laissée si elle choisissait la fenêtre. La mort, ce tunnel rapide et lumineux, l’emmènerait dans l’inconnu. Elle s’approcha de chacune des ouvertures.

     

    Près de celle de la vie, la douleur prit place.  Elle souffrait le martyr, ses os se brisaient, son corps brûlait et son cœur battait à tout rompre. Dans son esprit, c’était le casse-tête. Les idées se mélangeaient, se bousculaient, se poussaient. Elle était certaine de très peu de chose, comprenait mal les autres. Ses sentiments étaient confus. Elle avait peur, était triste puis en colère. Tout en elle était complexe. Tout était flou. Elle n’avait rien de rangé, ni de contrôlé. Prise de peur face à tout cela, elle recula et retrouva en un souffle le bien-être et le calme. Cette expérience ne la rassura pas et elle se demanda si le calme de la mort ne vaudrait pas mieux. Alors elle s’approcha de la seconde ouverture.

     

    Le sentiment de calme et de béatitude se renforça. Elle était parfaitement bien, en calme avec elle-même. Elle se sentait en paix. Mais bien vite, un doute s’empara d’elle. Qu’allait-il se passer après être arrivée au bout du tunnel ? Son âme allait-elle changer ? Allait-elle perdre ses souvenirs ? Allait-elle disparaître ? Ce doute l’arrêta. Elle pensa à sa famille, à ses amis. Pouvait-elle les abandonner en choisissant une paix dont seule elle pouvait profiter ? Tant de questions se bousculaient dans son esprit. Elle ferma les yeux. Devant elle, elle revit sa vie et ses instants de joie. Certes tout n’était pas rose. Mais elle n’était pas seule dans la vie et là, la solitude commençait à lui peser. Alors elle se plaça face à la fenêtre où elle voyait son accident. La douleur l’envahit de nouveau. Mais pourtant, sans hésiter, elle plongea dans cette vie de douleur et d’incertitude, emplie de joie et de bonheur. Et même si il faisait noir autour d’elle pour le moment, elle finirait bien par se réveiller, pour vivre de plus belle.

     


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    Une clameur s’éleva au loin. La foule amassée reprit ces quelques mots scandés par un seul homme. Le silence s’installa, un autre slogan frappa le peuple qui reprit une fois de plus ces quelques mots. La sueur trempait les fronts, les yeux s’ouvraient et se fermaient sous l’effet de la chaleur et de la poussière. On retenait son souffle. Au milieu de tant de monde, on avait chaud. Sur les bords, on brûlait. Les lèvres se serraient, se mordaient mais ne saignaient pas. Pas encore. Plus tard. Certains se tenaient la main. D’autres se récitaient une ultime prière. Puis tout à coup, les premiers avancèrent. Tout le cortège s’ébranla. Des cris s’élevaient. Des poings se levèrent vers le ciel. La colère s’éleva vers les cieux, vers le monde.

     

    Lina marchait au milieu de cette foule immense. Ses joues brûlaient sous la chaleur, son cœur battait à ton rompre sous la pluie de cris et de slogans. Ses yeux sombres comme la nuit scrutaient tous les visages qui se présentaient face à la jeune fille. Des visages déformés par la colère, par l’espoir, par la peur. Des visages trempés de sueur. Des visages qui se battaient. Elle ne disait rien au milieu de tant de monde, se contentant d’avancer dans le même sens. Mais son cœur lui répétait, criait, hurlait toutes ces paroles de révolution, tous ces espoirs, toutes ces idées. Le peuple enfin marchait, le peuple enfin s’indignait. Les années passées à sangloter, la tête baissée dans le sable, étaient résolues et enterrées. Lina avait elle aussi pleuré comme tous ces hommes et toutes ces femmes. Pour les mêmes raisons ou non, elle avait courbé l’échine face à l’autorité. Chaque jour, elle respectait scrupuleusement les paroles de son père, qui vénérait celles de son soit disant guide. Elle se souvenait de ces journées où elle transpirait dans son voile, sans pouvoir se plaindre. Elle voyait son frère courir avec ses amis. Elle ne pouvait pas faire trois foulées sans trébucher. Sa sœur ne s’était pas plainte, sa mère non plus. Personne ne devait se plaindre. Jamais ses voisins n’avaient vu son visage. Juste ses yeux, deux perles aussi noires que les ténèbres. Alors aujourd’hui, quand elle avait entendu les rumeurs qui parlaient de cette marche, elle avait enlevé ses tissus sombres qui entravaient ses mouvements et dévoilait son jean et son T-shirt. Elle avait couru pour la première fois vers cette place immense. Elle n’était pas la seule à courir. Elle avait vu des regards noter le fait qu’elle ne portait pas le voile à son âge. Les plus vieux lui firent les gros yeux. Mais elle ne les releva pas. Quand elle était arrivée, un homme plus vieux qu’elle l’avait regardée et lui avait offert le plus beau, le plus sincère sourire qu’elle n’avait reçu de sa vie. Elle avait croisé plusieurs filles de son âge, toutes vêtues d’un jean, d’un T-shirt. Elles s’indignaient avec elle. Ensemble elles montraient ce qu’elles étaient réellement. Elles se battaient avec d’autres, contre le régime, contre l’injustice.

     

    Tout à coup, pendant la marche, un claquement fit taire la foule. Une femme hurla. Les personnes amassées commencèrent à paniquer. Lina, qui marchait dans le bout de la file, ne comprenait pas ce qui se passait, comme toutes les personnes autour d’elle. Soudain, un homme hurla « L’armée tire à l’aveuglette ! Avec de vraies balles ! ». La panique s’empara de tout le monde. Lina prit peur et voulu s’extraire de cette foule. Mais les manifestants apeurés couraient dans tout les sens, certains en hurlant, d’autres les joues baignées de larmes. Elle croisa un homme qui jurait qu’un jour, ils reviendraient et que l’état payerait enfin de ses crimes. Elle ne fit pas attention aux plus fervents qui imploraient ceux qui couraient de rester, de se lever contre le régime. Mais, tout d’un coup, devant elle, un homme tomba. Ses yeux s’ouvrirent grands comme des soucoupes et elle se retint de hurler. Elle continua son chemin en courant, remerciant les cieux de n’avoir pas mit son voile qui l’aurait empêchée de fuir ce chaos. Elle n’entendait plus que des hurlements, des pleurs. Tout autour, elle sentait la mort, le désespoir et l’horreur. Le sang coulait sur la chaussée. Les visages tuméfiés des corps témoignaient de la précipitation des manifestants, de leur peur. Lina réussit à rejoindre une ruelle qui s’enfonçait dans la ville. Elle s’arrêta pour observer ce à quoi elle avait échappé. Devant, les soldats poursuivaient des hommes et des femmes. Des enfants, pas plus grands que son petit frère, couraient en hurlant, certains tombaient sous les balles. Elle vit une femme frappée par un policier. Elle était à terre et il la ruait de coups. Un homme lui sauta dessus. Le policier l’abattit froidement avant d’achever la femme. Lina vit les différentes scènes qui se jouaient devant ses yeux devenir floues. Des larmes coulèrent sur ses joues crasseuses. Elle tremblait de tout son corps. Ses vêtements étaient tachés de sang. Elle s’enfonça dans la ruelle pour fuir cette scène d’horreur. Elle rentra chez elle, plus loin dans la ville. Son père hurla, sa mère pleura, son frère la regarda avec de grands yeux. Sa sœur ne rentra pas ce soir-là. Plus jamais elle ne rentrerait.

       

     

    Insurgée / Histoire de vie, triste


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  • J’avance. Toujours et encore, j’avance. Mes pas me portent vers quelque chose que je ne parviens pas à distinguer. Une forme floue, irréelle. Mon futur ? Ma mort ? J’ignore où ma vie me porte mais j’avance sans jamais pouvoir reculer. Pas à un seul moment, je ne peux m’arrêter, je ne peux reculer. Même à l’arrêt, j’avance. Tout dans cette vie avance sans jamais se stopper. Le temps s’écoule, les grains de sable tombent à un à un. Et si on sait combien sont tombés, on ignore le nombre au-dessus de nos têtes. Ce sablier, personne ne peut le retourner. Il est bien trop immense, bien trop incompréhensible. Des lois bien particulières le régissent. Personne ne peut les modifier. Alors, les êtres humains s’enlisent dans le sable qui se colle à leur peau, à leur esprit, à leurs souvenirs. Ce sable nous recouvre un à un. Sous lui, nous nous courbons. Certains plongent carrément dedans, espérant retrouver un présent écoulé. D’autres encore tombent et ne se relèvent plus. Cet enlisement, c’est ce qu’on appelle la vie. Et dans ce sable, nous avançons, pas après pas. Tout avance, pas seulement l’Homme, mais aussi les animaux, les plantes, les civilisations. Tout jusqu’à la plus infime particule. Certains appelleront cet avancement le progrès, d’autres l’évolution. Qu’importe. Tout le monde avance mais pourquoi ? Pourquoi n’arrêtons pas quelques fois le cycle du progrès ? Nous avançons vers une forme floue, incertaine. Mais l’Homme, au lieu de se satisfaire de son sort, avance toujours et encore. Il trouve des défauts à chaque civilisation qu’il façonne de ses mains. Alors il continu à avancer, à s’embourber dans le sable, pour trouver son monde parfait. Mais lorsqu’il y sera, le monde continuera à avancer. Et alors lui, vers quoi devra-t-il courir ?  

    Avancer dans ce sablier       


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  • La nuit est calme et étoilée. Sans un seul nuage dans le ciel, la lune éclaire de toute sa puissance. Sa lumière se reflète dans un étang face à moi. L’eau ne bouge pas. Avec la lune, se reflètent des rosiers aux roses blanches aussi blanches que la neige qui craque sous mes pieds et qui recouvre les arbustes. Des guirlandes de lumière sont accrochées sur les branches sans fleurs des arbres. Traversant l’étang, un pont de bois a été construit. J’y vais et Julian me suit.

    Au milieu du pont, penchée face à l’eau, j’ai l’impression d’être au milieu d’un conte de fée. Ceux que petite me faisait imaginer qu’un prince sur son cheval blanc viendrait en pleine nuit m’enlever pour m’emmener loin de tout, dans son château perdu au milieu des bois, près d’un lac. Je me tourne vers Julian qui n’est pas arrivé. Il me sourit mais brusquement, son visage se fige et il courre vers moi. Il hurle. Je n’entends pas. Quelque chose s’abat sur ma tête et je sens mon corps qui tombe sur le sol. Je sombre dans les ténèbres. 

     

    Des fées pas si sympa (33)


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