• Soif

    Il n’existait pas pire sensation que le soif. Voilà ce que Matthew se répétait sans cesse. Sa langue lui semblait avoir triplé de volume tant qu’elle était pâteuse entre ses lèvres desséchées. Tout son corps réclamait la moindre goutte d’eau, un quelconque liquide qui permettrait d’étouffer cette douleur qui tiraillait tout son être. Mais dans la posture où il se trouvait, il ne pouvait malheureusement pas se permettre de réclamer quoi que ce soit. Assis sur une chaise rudimentaire, il contemplait depuis des heures ce que ses yeux lui permettaient. A vrai dire, pas grand-chose. Autant il ignorait le véritable aspect de sa langue à cet instant donné, autant il parvenait à imaginer ce à quoi ses yeux ressemblaient actuellement. Il les avait sentis gonfler autour de ses paupières avant que la douleur de son visage tuméfié parvienne jusqu’à son cerveau engourdit.  Il aurait voulu se remettre à hurler lorsque de violentes vagues de douleur parcouraient son visage. Presque. Pour cela, il aurait fallu qu’il puisse encore sortir le moindre son. Et à cela, ses cordes vocales avaient renoncé. Il se demandait si ça ne valait pas mieux. Il savait que ses hurlements ne l’aidaient pas, bien au contraire. Il sentait le long de ses tempes un liquide chaud qui coulait. Quelques gouttes atteignirent  ses lèvres. Un goût métallique glissa sur sa langue. S’il l’avait pu, il aurait pleuré. De désespoir et d’horreur. Mais il n’y parvenait pas. Il ne pouvait plus.

                    Il se souvenait que très vaguement des raisons de son supplice. Quelques images ici et là, estompées par la douleur, cachées par la brume de son esprit. Tel un stroboscope, elles défilent lorsqu’il fermait les yeux. Une route de terre battue, les secousses d’une voiture, des visages connus. Puis une douleur lancinante dans la nuque et des cris. Et enfin le noir. La soif l’accompagnait depuis son réveil, dans cette pièce vide et décrépie. Les poignés liés et les chevilles attachées, il avait hurlé, tenter une vaine libération, une négociation. Il n’avait obtenu que des coups, toujours plus de coups. Avant la résignation et l’abandon. Depuis, il gisait là, seul, complément seul. Il tentait de tenir moralement, de se dire qu’il fallait qu’il tienne le coup, qu’on avait besoin de lui. Mais plus les minutes s’écoulaient, plus ses vaines tentatives de tenir moralement s’écroulaient. Sa torture ne semblait pas pouvoir en finir. Il se demanda brièvement pour quelles raisons il avait été emmené ici, pourquoi il devait subir cette douleur. Il ne pensait pas avoir fait de mal à qui que ce soit. Au contraire, il voulait aider les hommes. Il en avait fait se philosophie de vie. Il avait quitté son pays natal, ses vertes plaines qui avaient bercées son enfance et sa jeunesse, pour rencontrer de nouvelles personnes dans ce pays où le soleil brûlait la peau à tout instant, où les sourires pleuvaient plus que la pluie. Et le voilà, seuil, sur une chaise. La raison de son sort peu enviable ne venait pas de ses actes. Il avait juste eu l’audace de naitre dans un pays différent de celui-ci, aux valeurs étrangères à ceux de ce territoire. Pourtant il ne regrettait pas son choix d’être venu.

     

                    La porte s’ouvrit et des hommes cagoulés entrèrent. Ils le détachèrent et le trainèrent. Ses pieds raclèrent le sable et une lumière aveuglante l’éblouit. Il cligna douloureusement les paupières. On le fit se mettre à genou. Il leva la tête. Face à lui, une caméra. Derrière lui, des hommes en noir projetaient leur ombre sur lui. Il distingua la forme d’une hache. Il ferma les yeux. Le temps pour sauver les autres était résolu pour lui. Il pensa à tous ceux qui restaient à aider et à tous ceux qui aurait pu venir mais dont sa mort effraierait. Tant de gens malade et démunis et si peu pour leur venir en aide. Il pense aussi à ses futurs assassins. Ce n’était seulement lui qu’il ensevelissait sous le sable, mais tout un peuple qui mourrait faute d’aide. La peur qu’ils instauraient empêchait l’avancée de leur propre pays. Cela Matthew ne le comprenait pas et il ne pouvait pas s’empêcher de s’interroger à l’approche de la mort, comme il l’avait tant d’autre fois auparavant. L’homme devant la caméra se tue et la hache se baissa lourdement sur la nuque du jeune occidental. Dans le sable rouge, sa tête roula, les yeux clos. Elle rejoignit celle connu des journalistes, des français, des américains qui avaient péris pour une vision du monde différent. Elle rejoignit aussi toutes ses têtes inconnues qui tombaient chaque jour en Syrie, en Irak et dans tant d’autres pays, et dont le monde occidental tentait d’oublier derrière sa peur et sa soif d’ignorance.   


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :