• Je suis assise, seule, devant la fenêtre. Le jour se lève au loin, le ciel rougit. Le silence résonne dans toute la maison. Personne ne peut le troubler car l'accès de ce manoir est depuis longtemps interdit. Les pierres tombent, les plantes grimpent sur les murs calcinés et rentrent par les fenêtres sans vitres.

    Avant, bien avant ce jour, il y a là bien des matins, des soirées et des saisons, on donnait des fêtes somptueuses, brillantes, connues dans le monde entier pour leurs prestiges. Les très riches invités y dansaient sous des lustres de diamants avec des tenues valant des milliers de dollars, de quoi nourrir une famille pendant des dizaines de mois, voire d'années. Les hommes fumaient des cigares de hautes renommés, les femmes grignotaient des petits fours du meilleur cuisinier que l'on connaissait à l'époque, tout en buvant le meilleur champagne du monde dans des flûtes en cristal. L'orchestre jouait des morceaux inconnus venus des pays étrangers et des grands classiques et faisait rêver les esprits du grand salon. À l'étage, des chambres étaient libres pour les jeunes couples enivrés par l'alcool.

    Ce soir-là, dans le petit bureau de sa suite, la maîtresse des lieux rédigeait des lettres et remplissait des papiers importants à ses yeux. Cela faisait longtemps qu'elle n'écoutait plus les fêtes qu'elle organisait. Pour elle, la vie n'avait aucun sens. Ses parents, elle ne les avait vus qu'une fois puis ils étaient repartis en France, sans leur fille, élevé par des gouvernantes. Leur bateau avait péri à leur retour. Elle avait 8 ans.

    Huit longues années plus tard, on l'avait marié contre son gré, avec un homme d'une bonne quarantaine d'années. Elle ne l'avait jamais aimé mais avait porté leur unique enfant. Elle avait 18 ans.

    Son époux mourut un soir, noyé dans le fleuve qui longeait son manoir, en compagnie de sa maîtresse, après un verre de trop. Sa jeune épouse continua les fêtes tout en élevant son enfant de 6 mois, qu'elle portait tout en écrivant ses lettres. Puis, elle se leva, embrassa son fils et le coucha. Ensuite, elle descendit dans la cave prendre un flacon. Elle mélangea son contenu dans du lait chaud qui était dans un biberon. Elle le rangea dans sa veste. Elle passa saluer ses invités. Elle n'avoua à personne que leur vie à tous se finirait dans moins d'une heure.

    Elle remonta dans son bureau puis ordonna à ses domestiques de fermer toutes les ouvertures du manoir sauf celles de son bureau. S'ils parurent surpris par les ordres de leur maîtresse, ils n'en laissèrent rien paraître. Ils accomplirent leur tâche et avertirent leur maîtresse que c'était bon. Celle-ci les renvoya avant de s'enfermer à son tour dans son bureau. Tous les invités étaient inconsciemment enfermés dans le salon.

    Quand elle fut sure d'être seule, elle prit son bébé dans ses bras. Elle lui donna le biberon qu'elle avait rempli de cyanure dans le cave. L'enfant l'ignorait et bu le biberon. Sa mère lui chuchota un très tranquille "je t'aime" au creux de l'oreille pendant que le nourrisson devenait une poupée de chiffon.

    Sa mère s'assit à son bureau, tenant toujours son enfant. Elle prit une allumette et alluma de la poudre qui, tel un spectre invisible, parcouru toute la maison, sur les canapés, près des rideaux, tous les lieux inflammables de cette maison. Le feu prit rapidement et bientôt on entendait résonner dans toute la maison, les cris inutiles et désespérés des personnes enfermées. Les gens se jetaient contre les portes mais quand, par miracle, une porte cédait, il y en avait toujours une autre à défoncer. La fumée enveloppait les malheureux qui s’étouffaient dans des râles affreux.

    Dans son bureau, sans crier, ni se plaindre, tenant son bébé déjà mort près de son cœur, la jeune femme mourut. Mais son vœu de mettre fin à cette vie ne se réalisa pas. Car, maintenant, elle est assise, seule, dans son manoir, par où les plantes grimpent sur les murs calcinés et rentrent par les fenêtres sans vitres. Elle est devenu un fantôme, toujours aussi seule. Et ce fantôme, c'est... MOI


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