• Depuis plusieurs minutes, elle regardait son visage. Elle observait chaque détail que jamais elle n’avait remarqué auparavant. Son nez retroussé, son grain de beauté aux racines des cheveux, ses creux dans ses joues. D’insignifiantes particularités qui le rendaient si unique. Elle caressa doucement ses cheveux bruns. Ils lui chatouillèrent la main, lui rappelant le nombre de fois où elle lui avait ébouriffé cette tignasse à laquelle il prenait tant soin. Une vague de nostalgie, s’empara d’elle, lui serrant violement le cœur. Elle voudrait oublier tous ses souvenirs auxquels chaque détail la rapportait. Elle lui prit la main et la serra doucement entre ses doigts. Des larmes glissèrent le long de ses joues, la surprenant. Son visage se déforma dans un hurlement silencieux et son corps fut secoué de spasmes. Elle s’effondra, la tête dans sa main qu’elle tenait encore. Elle ne tenait plus. Il lui manquait tant ! Son sourire qui fendait son visage pour rire franchement, son air espiègle, ses gamineries, son air sérieux. Sa voix ne résonnait plus dans ses oreilles, ses doigts ne la frôlaient plus. Elle le regardait chaque jour sans qu’il lui ne puisse la voir. Il demeurait les yeux éternellement clos, les doigts trop froids et la bouche silencieuse. Il était seul en lui-même, abandonné par tous. Par elle aussi. Elle avait signé, elle ne pouvait plus faire marche arrière.

             La porte s’ouvrit et une femme en blanc entra, suivie d’un couple d’une soixantaine d’années. Elle se releva, embrassa son visage figé avec tendresse et rejoignit le couple qui la serra contre lui. Des larmes silencieuses perlaient leurs yeux et ensemble, ils partagèrent leur peine. La femme en blanc s’affaira le long du lit avant de repartir avec une perche à perfusion tout juste débranchée. Seul les bippements réguliers d’une machine résonnaient dans la pièce.         

             Elle le regarda longuement. Voilà une année qu’il reposait sur ce lit d’hôpital. Un an que son esprit les avait quittés mais que son cœur battait toujours. Un an que des machines le maintenaient en vie. Maintenant, cela prenait fin. Peu à peu, son cœur ralentit et ne laissa qu’un long sifflement et des larmes sur les joues de ceux qui restaient.  

     

       


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  • Il ne payait pas de mine, seul au milieu de nulle part, sur une étendue d’herbe. Il ne se dressait pas jusqu’aux cieux et ne dominait rien. Son ombre n’effrayait pas. Il était seul, totalement seul. Peu de gens s’arrêtaient pour le regarder, on l’ignorait, passait devant lui sans le remarquer.  Une vie solitaire. Mais pourtant il restait. Il résistait face au vent et ne ployait pas sous le soleil. Il accueillait la pluie avec plaisir et connaissait tous les moyens pour survivre à la neige et au gel. Il trônait nu face aux éléments, bien ancré dans le sol. Il vivait à sa manière, sans se soucier du monde gris qui l’entourait. Il était là, présent par tous les temps. Il éclairait la nuit et embellissait le jour.

    Mais aujourd’hui, on l’a abattu. Il est tombé d’un coup, dans un craquement du tonnerre. Il n’a pas protesté. Il est tombé sous la hache, tout simplement. Maintenant, un trou béant regarde le ciel, attendant la suite des événements.

    Demain, des pelleteuses viendront racler la terre, déblayer l’herbe et creuser encore plus le sol. Une nouvelle tour se construira, s’élèvera vers le ciel, plus triomphante que jamais. Les passants l’admireront, la remarqueront. On la regardera avec fierté. Son ombre s’étendra partout, effrayante et impressionnante. Elle regardera si haut qu’elle ne verra plus ses pieds. Elle accentuera le gris du monde. Mais pourtant, elle ne restera pas. Elle s’enfoncera dans les ténèbres chaque nuit et assombrira le jour. La succession des saisons et des pluies la fragilisera. Elle ignorera les clefs pour survivre face au gel. Elle s’abattra seule, sans aucune aide, lorsque son béton craquera

     

    J’observe tout cela depuis ma fenêtre, sans rien dire. Que dire d’ailleurs ? La machine s’est emballée. Aujourd’hui, mon arbre est tombé. Mon ami solitaire est parti. Une tour de verre et de béton le remplacera. Aujourd’hui, c’est mon arbre, demain mon monde, qu’on recouvrera de béton.   

     


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  • Il est là à attendre que le temps passe.  Le dos collé contre le mur irrégulier, il compte les gouttes d’eau qui tombent du plafond. Elles s’écrasent à ses pieds, formant une flaque. Il y laisse patauger ses orteils nus pour faire passer les secondes un peu plus vite. Stratagème inutile mais unique moyen pour tromper son monde. Qui ne sont pas nombreux à rendre compte de cette misérable tromperie. Il reçoit chaque jour deux visites, le matin et le soir. Il ignore si il y a une heure précise dans ce rituel. Ici seule la lumière qui passe au travers de la lucarne donne une indication sur les jours qui s’écoulent. Jour, nuit, jour, nuit. Deux repas presque moisis qui coupent cet entre deux et le temps continue sa route sans se préoccuper des hommes derrière les murs.

                    Voilà un moment qu’il espère une caresse du soleil sur ses joues tuméfiées. Il rêve du vent dans ses cheveux, du ruissellement de la pluie sur son corps. Rien ici ne lui permet de se rappeler du goût de la liberté. L’odeur d’urine remplace celle des fleurs, les bruits de bottes celui du chant des cigales. Il repense à sa chère Provence. Aux chemins bordés de lavande et à l’herbe séchée des maquis. Il y est né et aurait voulu y mourir. Mais l’amour de la France est plus fort que celui de la douceur de vivre. Maintenant il doit en payer le prix. Il mourra loin de chez lui, sous le ciel gris de Paris. Il rejoindra un jour prochain ses amis sur le poteau d’exécution. Il imagine la mort. Il a peur. Son destin doit se finir au milieu d’une cour pavée, loin des siens. Il part avec la conviction d’avoir accompli sa tâche. D’autres prendront la suite jusqu’à la libération. Il y croit. Il pense à cette vie trop vite achevée, offerte à son pays.

    La porte s’ouvre en grand. Deux soldats le mettent debout et le trainent dehors. Il a peur. Il voudrait presque pleurer. Mais pour ses camarades, il veut paraître fort. Il ne dit rien tandis qu’on l’attache contre un poteau taché de sang. La pluie coule sur son masque. Il ne dit rien.

     

    Un coup de feu claque entre les murs de la prison. Puis plus rien.


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  • Parce qu'écrire et dessiner librement est un droit. "C'est l'encre qui doit couler, pas le sang."

    Soutien aux familles et amis des victimes 

    Je suis Charlie


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  • Il n’existait pas pire sensation que le soif. Voilà ce que Matthew se répétait sans cesse. Sa langue lui semblait avoir triplé de volume tant qu’elle était pâteuse entre ses lèvres desséchées. Tout son corps réclamait la moindre goutte d’eau, un quelconque liquide qui permettrait d’étouffer cette douleur qui tiraillait tout son être. Mais dans la posture où il se trouvait, il ne pouvait malheureusement pas se permettre de réclamer quoi que ce soit. Assis sur une chaise rudimentaire, il contemplait depuis des heures ce que ses yeux lui permettaient. A vrai dire, pas grand-chose. Autant il ignorait le véritable aspect de sa langue à cet instant donné, autant il parvenait à imaginer ce à quoi ses yeux ressemblaient actuellement. Il les avait sentis gonfler autour de ses paupières avant que la douleur de son visage tuméfié parvienne jusqu’à son cerveau engourdit.  Il aurait voulu se remettre à hurler lorsque de violentes vagues de douleur parcouraient son visage. Presque. Pour cela, il aurait fallu qu’il puisse encore sortir le moindre son. Et à cela, ses cordes vocales avaient renoncé. Il se demandait si ça ne valait pas mieux. Il savait que ses hurlements ne l’aidaient pas, bien au contraire. Il sentait le long de ses tempes un liquide chaud qui coulait. Quelques gouttes atteignirent  ses lèvres. Un goût métallique glissa sur sa langue. S’il l’avait pu, il aurait pleuré. De désespoir et d’horreur. Mais il n’y parvenait pas. Il ne pouvait plus.

                    Il se souvenait que très vaguement des raisons de son supplice. Quelques images ici et là, estompées par la douleur, cachées par la brume de son esprit. Tel un stroboscope, elles défilent lorsqu’il fermait les yeux. Une route de terre battue, les secousses d’une voiture, des visages connus. Puis une douleur lancinante dans la nuque et des cris. Et enfin le noir. La soif l’accompagnait depuis son réveil, dans cette pièce vide et décrépie. Les poignés liés et les chevilles attachées, il avait hurlé, tenter une vaine libération, une négociation. Il n’avait obtenu que des coups, toujours plus de coups. Avant la résignation et l’abandon. Depuis, il gisait là, seul, complément seul. Il tentait de tenir moralement, de se dire qu’il fallait qu’il tienne le coup, qu’on avait besoin de lui. Mais plus les minutes s’écoulaient, plus ses vaines tentatives de tenir moralement s’écroulaient. Sa torture ne semblait pas pouvoir en finir. Il se demanda brièvement pour quelles raisons il avait été emmené ici, pourquoi il devait subir cette douleur. Il ne pensait pas avoir fait de mal à qui que ce soit. Au contraire, il voulait aider les hommes. Il en avait fait se philosophie de vie. Il avait quitté son pays natal, ses vertes plaines qui avaient bercées son enfance et sa jeunesse, pour rencontrer de nouvelles personnes dans ce pays où le soleil brûlait la peau à tout instant, où les sourires pleuvaient plus que la pluie. Et le voilà, seuil, sur une chaise. La raison de son sort peu enviable ne venait pas de ses actes. Il avait juste eu l’audace de naitre dans un pays différent de celui-ci, aux valeurs étrangères à ceux de ce territoire. Pourtant il ne regrettait pas son choix d’être venu.

     

                    La porte s’ouvrit et des hommes cagoulés entrèrent. Ils le détachèrent et le trainèrent. Ses pieds raclèrent le sable et une lumière aveuglante l’éblouit. Il cligna douloureusement les paupières. On le fit se mettre à genou. Il leva la tête. Face à lui, une caméra. Derrière lui, des hommes en noir projetaient leur ombre sur lui. Il distingua la forme d’une hache. Il ferma les yeux. Le temps pour sauver les autres était résolu pour lui. Il pensa à tous ceux qui restaient à aider et à tous ceux qui aurait pu venir mais dont sa mort effraierait. Tant de gens malade et démunis et si peu pour leur venir en aide. Il pense aussi à ses futurs assassins. Ce n’était seulement lui qu’il ensevelissait sous le sable, mais tout un peuple qui mourrait faute d’aide. La peur qu’ils instauraient empêchait l’avancée de leur propre pays. Cela Matthew ne le comprenait pas et il ne pouvait pas s’empêcher de s’interroger à l’approche de la mort, comme il l’avait tant d’autre fois auparavant. L’homme devant la caméra se tue et la hache se baissa lourdement sur la nuque du jeune occidental. Dans le sable rouge, sa tête roula, les yeux clos. Elle rejoignit celle connu des journalistes, des français, des américains qui avaient péris pour une vision du monde différent. Elle rejoignit aussi toutes ses têtes inconnues qui tombaient chaque jour en Syrie, en Irak et dans tant d’autres pays, et dont le monde occidental tentait d’oublier derrière sa peur et sa soif d’ignorance.   


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