• Un monde sous contrôle

    Le lustre accroché au dessus de sa tête pendait lamentablement dans le vide, n’éclairant rien de la pièce par son ampoule grillée. Les rideaux opaques cachaient les fenêtres aux volets baissés. La pièce sombre dégageait une puanteur infâme, mélange de sueur et reste de pizzas froides depuis trop longtemps. La porte close ne laissait échapper qu’un fin rayon de lumière, signe que dans le reste de la maison, le soleil brûlait encore. Mais ce symbole ne recouvrait pas même un centimètre de la moquette grise poussière.  Sur un mur au papier peint décollé, une lueur bleutée divaguait dans le reste de la pièce, dévoilant des ombres fantomatiques noires. Au centre de ces quatre murs, un fantôme  respirait encore.

    Son dos se voûtait, ses mains se glaçaient, ses jambes se figeaient. En tailleur depuis des heures, ses yeux reflétaient l’écran face à lui. Seuls ses pouces s’activaient encore. Le reste de son corps avait la rigidité d’une statue. Rien n’aurait laissé penser que son sang circulait toujours dans ses vaisseaux si ce n’est que ses doigts compressaient encore les touches grinçantes de l’objet qu’il tenait entre ses mains. L’écran devint noir, un cercle tournait en son milieu. Sa main droite lâche l’appareil et son bras se tendit sur le côté. Il attrapa une part de pizza. Le fromage dégoulinant s’étira avant de se rompre et de s’écraser sur son jean. Il l’ignora, fourra entre ses dents le morceau de sauce tomate et de fromage. Il aspira son morceau plus qu’il ne le mâcha, ses mains étant reparties sur la manette.  Les héros des jeux couraient sous ses yeux. Il les faisait courir, voler, se battre. Il choisissait leur vie, leur naissance et leur mort. A défaut d’être dirigeant de la sienne, il pouvait enfin contrôler une vie.

    Le bruit mat contre le bois ne le fit pas sursauter. Il ne lui faisait rien. Une voix féminine traversa le noir jusqu’à ses oreilles.

    « Mon chéri ?... Tu ne veux toujours pas sortir ?... Bon… Je te laisse des vêtements propres devant la porte. Tu devrais prendre une douche mon amour. Tu te sentirais certainement mieux, depuis le temps que tu es ici…. Tu ne veux pas me répondre ?... Toujours pas ? Et bien, n’hésite pas si tu as besoin. »

    Des pieds trainants raclèrent la moquette du couloir. Le bruit s’éloigna. Devant son écran, il contrôlait toujours ses esclaves de pixels. Rien n’avait changé. Juste une larme sur ses joues brillait. Lui aussi, comme sa mère, aurait aimé parler, prendre une douche, sortir, vivre.  Mais cette vie incontrôlable lui faisait peur. Une peur emprisonnait ses membres dès que l’idée de sortir de cette chambre lui traversait l’esprit. Derrière cette porte, se trouvait ce monde où rien ne se contrôlait, où les autres imposaient leur loi, leur mode de vie. Au moins, face à son écran, il savait ce qui se passait autour de lui, ce qui changeait dans son existence. Il vivait dans un monde sous contrôle, son monde.

     

    Mais qui était le véritable maître de ce monde ? L’homme. Un homme maître de jeux qui empoisonnait son esprit, maître des mouvements mécaniques de son corps, maître de la sueur qui collait contre sa chair, contre les tissus de ses vêtements, qui l’emprisonnait dans son odeur. Le véritable maître restait à être dévoilé. Mais ce jour là, la vérité passera sous la porte. Une vérité incontrôlable, qui devait rester derrière la porte. Le véritable maître attendra car le jour de son sacre, un monde sous contrôle tombera. Son monde.

     


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