• Dernier soir

    Sophie claqua la porte d’entrée, réduisant à néant le bruit des voitures qui passaient en hurlant. Elle tourna la clef dans la serrure et la rangea, comme à son habitude sur le meuble. Elle enleva son pardessus, en commençant par défaire les boutons du haut, comme chaque jour. Elle prit un des nombreux cintres et déposa son vêtement dans le placard de l’entrée. Elle referma la porte coulissante et rejoignit son époux. Ses talons claquèrent contre le carrelage et brisèrent le silence de la maison. 

             Henri lisait le journal, confortablement installé dans l’épais fauteuil à bras, héritage de son père. Il ne releva pas la tête lorsque sa femme entra dans la pièce. Il se contenta de tourner une page en un bruissement de feuille. L’horloge sonna 6 heures. Il attendit le dernier coup avant de prendre la parole. 

    « Ton patron t’a donné ta journée ? »

             Sophie le regarda à peine, trop affairée à regarder dans le frigo ce qu’elle pourrait bien préparer ce soir. La cuisine donnait sur le salon, séparée par un comptoir jamais utilisé par le couple.

    « Oui. Les bureaux et l’usine ferment toute la journée. Situation exceptionnelle, ils ont dit.

    -Bien.

    -Et toi, tu iras au travail demain ?

    -Non, il n’y aura probablement personne. »

    Sophie ne répondit rien. Elle sortit des carottes du frigo avec des pommes de terre et entreprit de réaliser un mix de légumes pour le dîner. Elle sortit un couteau lorsqu’Henri l’interpella.

    « Nous pourrions aller au restaurant ce soir. J’aurais bien goûté à la cuisine de ‘’Chez Bruno’’ pour cette dernière soirée.

    -Moi aussi. Mais tout est fermé à partir de 18 heures aujourd’hui. Obligation du gouvernement.

    -Dommage.

    -Effectivement. Allume la télé, s’il-te-plait. »

    Henri prit la télécommande et alluma l’écran. Il zappa sur une chaîne d’informations. Les reportages passaient en boucle depuis ce matin. Des gens affolés, le mot du président, l’évolution –toujours négative- de la situation. Sophie soupira :

    « C’est triste tout cela. Il devrait passer un bon téléfilm, histoire de détendre les gens. »

    Elle s’assit près d’Henri pendant que la cocotte-minute posée sur le gaz ronflait doucement. Son époux replia le journal et le posa sur la table basse. Il regarda sa femme longuement avant de reprendre la parole :

    « Tu imagines, nous vivons notre dernière soirée.

    -En effet.

    -Les enfants viendront-ils demain ?

    -Je ne sais pas. Je ne pense pas.

    -Bon. Que mangeons-nous ce soir ?

    -Carottes, pommes de terre, rôti. 

    -C’est banal.

    -C’est tout ce que nous avons. »

    Elle se releva pour aller dans la cuisine d’où la cocotte sifflait. Henri ajouta pour lui-même.

    « C’est quand même dingue les sciences aujourd’hui. Etre capable de déterminer la date exacte de la fin du monde ! Chapeau !

    -En effet, Henri. Mais c’est dommage qu’ils ne nous aient pas prévenus un peu plus tôt, nous aurions pu prévoir un peu notre départ.

    -Non au contraire, ils évitent les émeutes ainsi. Et les pénuries. Dire que nous vivons notre dernière soirée et que demain à la même heure, nous serons morts… C’est fou ! 

    -Il faut bien mourir en jour. Mais en attendant, le dîner est prêt. Nous passons à table.


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